Lettre suite au documentaire sur Arte

Le 3 mai, la chaîne Arte diffusait un documentaire allemand sur la borréliose de Lyme, réalisé par le journaliste médecin Patrick Hünerfeld.
L’association France a souhaité réagir pour dénoncer le caractère délibérément partial de ce documentaire. La lettre ouverte suivante a été envoyée à la direction de la chaîne.

Lettre à Arte + annexes
Les annexes (données scientifiques et liste des associations) sont disponibles dans le document PDF.


 

Lettre ouverte
 
Objet : Réaction suite au documentaire « La maladie de Lyme, danger réel ou imaginaire ? »

ARTE G.E.I.E.
Service Téléspectateurs
4, Quai du Chanoine Winterer
CS 20035
F- 67080 Strasbourg Cedex

Le  8 mai 2012, à Arcueil

Madame, Monsieur,

En tant que principale association française ayant pour objet d’échanger, de diffuser des informations sur les maladies transmises par les tiques et d’en assurer la prévention, représentant de nombreux malades, France Lyme vous remercie pour avoir diffusé un documentaire au sujet de la maladie de Lyme. Nous tenons toutefois à vous faire part de la colère et du choc qu’a provoqué chez nos adhérents le visionnage du documentaire « La maladie de Lyme, danger réel ou imaginaire ? ».

Alors qu’internationalement deux courants s’affrontent au sujet de la gravité de la maladie de Lyme et de la chronicité ou non de cette maladie, le journaliste, arguant du fait qu’il est médecin, ne présente qu’un de ces courants. Pourtant, cet élément est primordial pour comprendre les difficultés de diagnostic et de traitement des malades.

En effet, deux théories, également légitimes mais divergentes, existent pour le diagnostic et le traitement de la maladie de Lyme : les directives de l’Infectious Diseases Society of America (IDSA) [1], auxquelles adhèrent le journaliste et les trois médecins interviewés, et celles de l’International Lyme and Associated Diseases Society (ILADS) [2]. A titre d’information, le Dr Nicolaus est un membre actif de l’ILADS depuis plusieurs années ainsi que de la Deutsche Borreliose Gesellschaft (DBG). Ne pas le mentionner permet d’insinuer qu’il agit seul, selon sa propre théorie et dans un but uniquement lucratif.

Vous trouverez en annexe quelques éléments scientifiques et des articles en faveur de la maladie de Lyme chronique et des thèses de l’ILADS.

Sachez qu’en Allemagne également, deux directives concernant la prise en charge de la borréliose tardive co-existent, et sont en vigueur toutes les deux et appliquées au sein du corps médical. Ces deux écoles qui s’affrontent sont l’exacte réplique des deux sociétés savantes américaines IDSA et ILADS : l’une niant complètement l’existence d’une infection persistante, l’autre, émanant de la DBG, la reconnaissant et tentant de la soigner tant bien que mal, avec les médicaments existant à l’heure actuelle. Autrement dit, le gouvernement allemand reconnaît les deux directives et chaque médecin allemand doit, en son âme et conscience, choisir quelles directives il applique.

Or il se trouve que les derniers procès aux USA ont donné tort aux directives de l’IDSA [3], car des conflits d’intérêt entre médecins et assurances privées de santé ont été dévoilés au grand jour.

Plus récemment encore, le Dr Waisbren, fondateur de l’IDSA et ayant pris en charge de très nombreux malades de Lyme, a finalement changé d’opinion et a adopté les thèses de l’ILADS. Il applique désormais les directives de l’ILADS et a écrit un livre pour expliquer les raisons de ce changement radical [4].

Le réalisateur a traité le sujet de la maladie de Lyme entièrement « à charge », sans laisser au téléspectateur la possibilité de se faire sa propre opinion concernant la polémique sur cette maladie. Pour cela, il aurait fallu traiter les deux courants de pensée de façon impartiale. Or, dans ce documentaire, les propos du Dr Nicolaus sont reçus avec beaucoup de critique, alors que les trois autres médecins, se fiant aux théories de l’IDSA, sont considérés comme « la » référence.

D’autre part, il est extrêmement facile de manipuler le téléspectateur en coupant au montage toutes les interviews de malades qui pourraient nuire à la conclusion que souhaite porter le journaliste à son documentaire.

Nous savons ainsi que deux jours entiers de tournage auprès de malades ont été purement et simplement coupés… Le réalisateur a notamment écrit une lettre à l’un des malades, expliquant que son interview allait à l’encontre de l’opinion qu’il souhaite développer dans son film. Il y reconnaît textuellement qu’il ne croit pas à la persistance de l’infection.

L’interview d’un autre malade, reconnu en maladie professionnelle, n’a pas été incluse dans le montage final, bien qu’elle ait duré plusieurs heures. La maladie de Lyme figurant dans la liste des maladies professionnelles, et donnant droit par conséquent à différentes prestations sociales et compensations financières (expliquées par le fait que cette maladie peut être lourdement invalidante et ne se soigne pas facilement à un stade avancé), le statut de ce malade ne pouvait donc appuyer la thèse de ce journaliste, selon laquelle la maladie de Lyme est bénigne et se soigne parfaitement en quelques semaines d’antibiotiques, quel que soit le stade. Il a donc été évincé du reportage…

Au final, aucun malade traité au BCA et satisfait de l’amélioration nette de son état de santé n’apparaît dans le film. Pourtant ils sont nombreux ! Les seuls patients interrogés sont ceux ayant choisi d’abandonner ou de refuser le traitement.

Il est un peu « facile » pour les médecins d’accuser les associations de malades, en tentant de les faire passer pour des mouvements sectaires anti-scientifiques…
Derrière ce problème se cachent d’autres questions : pourquoi tant de malades cherchent-ils des informations et du soutien auprès des associations ? Pourquoi le nombre d’associations autour des maladies vectorielles à tiques [5] et le nombre d’adhérents grandit-il, aussi bien en France qu’à l’international ?

Le titre interrogatif du documentaire (« Danger réel ou imaginaire ? ») ainsi que la présentation qu’Arte en a faite laissaient entendre que le documentaire développerait les deux courants et idéalement laissait la décision au téléspectateur. Or il n’en a rien été.

La chaîne Arte a dans l’opinion publique une image de sérieux et de compétence ; les téléspectateurs lui font confiance pour la qualité et la fiabilité des informations diffusées. Mais la diffusion de ce documentaire a terni l’image que nous avions de votre chaîne…
Dans le souci de respecter vos téléspectateurs, tout en prenant en compte votre réputation de chaîne de télévision indépendante et objective, vous seriez bien aimable d’indiquer en début des prochaines rediffusions de ce documentaire que deux théories opposées sur la maladie de Lyme existent, défendues chacune par des médecins respectables, et que le documentaire n’est que le reflet d’une opinion personnelle partiale, qui n’engage que son auteur.
Nous vous serions également très reconnaissants de réaliser un nouveau documentaire qui traite de la complexité des maladies vectorielles à tiques et des difficultés de diagnostic et de traitement.
Nous nous tenons à votre disposition pour vous apporter toute précision au sujet de ces problématiques.

Très respectueusement,

Anne Jourdan – Présidente de France Lyme pour le bureau de France Lyme

 

[1]   Wormser et al, 2006. The Clinical Assessment, Treatment, and Prevention of Lyme Disease, Human Granulocytic Anaplasmosis, and Babesiosis: Clinical Practice Guidelines by the Infectious Diseases Society of America Clin Infect Dis. (2006) 43 (9): 1089-1134. doi: 10.1086/508667 http://cid.oxfordjournals.org/content/43/9/1089.full

[2]    Burrascano, Diagnostic Hints and Treatment Guidelines for Lyme and Other Tick Borne Illnesses, 2008, http://www.ilads.org/lyme_disease/B_guidelines_12_17_08.pdf

[3]   Johnson et Stricker, The Infectious Diseases Society of America Lyme guidelines: a cautionary tale about the development of clinical practice guidelines. Philosophy, Ethics, and Humanities in Medicine 2010, 5:9 http://www.peh-med.com/content/5/1/9

[4]   Treatment of chronic Lyme disease, 51 case reports and essays in their regard, Burton Waisbren, 2012, BioMed Publishing Group. http://www.lymebook.com/burton-waisbren-chronic-lyme-book-essays

[5]    Une liste des principales associations sur les maladies à tiques est donnée en annexe 2.

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