Maladie de Lyme : un spécialiste américain décrypte la controverse à l’Institut Pasteur

Source Science et Avenir du 3 octobre 2018

L’Institut Pasteur a invité le 26 septembre 2018 le Pr Ying Zhang, spécialiste américain de la maladie de Lyme. Cette conférence en comité restreint abordait tous les sujets qui sont à l’origine de la polémique sur cette maladie (dépistage, traitement, maladie chronique etc…). Entretien avec le Pr Zhang.

Le 26 septembre, Stewart Cole, le président de l’Institut Pasteur, profitait de la visite en France (lire encadré) du professeur Ying Zhang pour l’inviter à faire une conférence sur ses récents travaux concernant la maladie de Lyme. Cette présentation intitulée “Maladie de Lyme persistante (chronique) : challenges, controverses et solutions possibles” abordait les questions du dépistage, du traitement et du caractère chronique de cette maladie. Autant de sujets qui alimentent la polémique actuelle sur cette affection. Si nous n’avons pas été autorisés à assister, ni à filmer cette conférence à l’Institut Pasteur, nous avons pu par la suite interviewer le Pr Zhang. Ses propos, fondés notamment sur les travaux de son équipe à Baltimore, remettent sérieusement en question les positions d’une partie de la communauté scientifique et médicale, notamment en France.

Ying Zhang est professeur au Department of Molecular Microbiology and Immunology à Bloomberg School of Public Health de l’Université Johns-Hopkins de Baltimore (Etats-Unis).

Sciences et Avenir : Est-ce que le traitement par antibiotiques de la maladie de Lyme est toujours pleinement efficace ?

Ying Zhang : Non car la Borrelia peut survivre à ces traitements que ce soit in vitro, in vivo sur des modèles animaux et chez l’homme. Il existe différentes formes persistantes de la bactérie : sous forme de biofilm, de microcolonies ou encore sous forme de corps ronds (forme de repos), qui présentent une plus grande tolérance aux antibiotiques que la forme spirochète, la plus classique et la plus connue.

Un dogme de l’infectiologie considère que si l’agent infectieux ne peut être cultivé alors il n’y a pas d’infection. La maladie de Lyme fait-elle exception à cette règle ?

Borrelia est une bactérie spirochète pouvant causer une infection persistante différente de nombreux autres agents pathogènes tels que la tuberculose, Escherichia coli ou Staphylococcus  aureus (staphylocoque doré), dont la rechute du patient après traitement peut être confirmée par la présence de bactéries dans l’organisme, qui sont cultivables dans un milieu approprié. Dans le cas de rechute dans la maladie de Lyme, les symptômes réapparaissent, mais la bactérie Borrelia ne peut généralement pas être cultivée, en particulier après un traitement aux antibiotiques. Ceci est justement le fait de la biologie unique de cette bactérie qui se présente comme nous l’avons vu, sous des formes variées qui ne sont pas cultivables avec les techniques actuelles. Davantage de recherches sont donc nécessaires pour développer de meilleurs systèmes de culture.
Conséquence, de nombreux cas de maladie de Lyme chronique sont ignorés car il n’est pas possible de cultiver la bactérie à partir d’un échantillon prélevé chez ces patients. En outre, les tests de diagnostic actuels ne permettent pas non plus de détecter de tels cas. En tant que telle, cette forme de la maladie de Lyme persistante peut être sous-estimée.

Des méthodes de diagnostic prometteuses sont les dosages basés sur les lymphocytes T ou les cytokines

Est-ce que cela signifie que les tests sérologiques utilisés pour le dépistage ne sont pas fiables ?

Cette méthode de dépistage en deux temps (Elisa et Western blot qui repose sur la détection d’anticorps produit par le système immunitaire contre la bactérie) est assez sensible et spécifique après 4-6 semaines pour le dépistage durant la phase de convalescence et pour la forme tardive disséminée de la maladie (cardite, arthrite.). Effectivement, durant ces phases la réponse en anticorps du système immunitaire est bonne. Mais ces tests ne sont pas assez fiables à d’autres périodes de la maladie. Ils ne détectent qu’environ 30% des cas de Lyme précoces car peu ou pas d’anticorps sont produits à ce moment. La sensibilité est donc très faible. Ce dépistage présente également un défaut de détection des patients atteints de PTLDS (c’est-à-dire ces patients qui montrent encore les symptômes de la maladie de Lyme alors qu’ils ont bien été traités aux antibiotiques). Car à ce stade chronique tardif (PTLDS), en raison d’un dysfonctionnement immunitaire ou d’une suppression immunitaire, soit la production d’anticorps est affectée soit l’hôte produit une réponse immunitaire à différentes expressions antigéniques de la Borrelia que le test n’est pas en mesure de détecter.

Est-ce qu’il existe de nouvelles pistes de diagnostic prometteuses ?

Les tests par PCR (Polymerase Chain Reaction consistant à détecter l’ADN de la bactérie dans un prélèvement) sont efficaces pour détecter la présence de la bactérie dans les tissus affectés dans des modèles animaux mais pas chez l’homme. Enfin, la détection des Borrelia par PCR dans le sang n’est pas très sensible car on pense que la bactérie n’est présente que de manière transitoire dans le sang au cours de l’infection, avant de s’installer rapidement dans les tissus cibles.
Des méthodes de diagnostic prometteuses sont les dosages basés sur les lymphocytes T (cellules impliquées dans la réponse immunitaire) ou les cytokines (molécules impliquées dans la réponse immunitaire). Nous travaillons aussi sur des dosages métabolomiques (ensemble des composés exprimés par les cellules) et sur des tests sérologiques avec des antigènes spécifiques de Borrelia persistantes.

Si les antibiotiques actuels sont inefficaces pour les patients PTLDS, quels traitements peuvent être proposés ?

Il n’existe actuellement aucun traitement approuvé par la FDA (Food and Drug Administration, l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments) pour les PTLDS. Il s’agit d’un énorme besoin médical non satisfait. De nombreux patients souffrent de PTLDS sans aide ni traitement. De nombreux médecins ont essayé de les aider en utilisant un traitement antibiotique à long terme, en particulier des combinaisons de médicaments, certains prétendant avoir un effet positif. Cependant, ces traitements ne sont pas encore très efficaces. Ils peuvent mettre les patients en rémission, mais ne pas les guérir.
Les effets secondaires de l’utilisation à long terme d’antibiotiques doivent être gérés avec soin et ne sont pas spécifiques au traitement de la maladie de Lyme. Ils peuvent être réduits en utilisant des probiotiques et une administration par “pulse” c’est-à-dire avec des phases d’alternance sans traitement, une sorte de congé médicamenteux.
Nous travaillons à la mise au point d’une combinaison de traitements montrant déjà un bon effet in vitro. Des études préliminaires chez la souris semblent également suggérer que les combinaisons de ces médicaments sont plus efficaces que le traitement antibiotique unique actuel.
 

Par Olivier Hertel

Création d’un fonds de dotation pour la recherche sur la maladie de Lyme

Le Pr Ying Zhang a été invité en France pour participer à la journée scientifique de la Fédération Française des Maladies Vectorielles à Tiques (FFMVT) présidé par le Dr Raouf Ghozzi, de l’hôpital de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) qui se tenait le 29 septembre à Montpellier. “Les discussions ont porté sur les traitements, en particulier l’association d’antibiotiques. L’une des pistes évoquées est d’utiliser une association de deux antibiotiques dirigés contre la forme spirochète, forme classique de la bactérie et une troisième molécule ciblant les formes persistantes telles que les biofilms, les microcolonies et la forme ronde. Cette troisième molécule pourrait être un antibiotique déjà utilisé voire du carvacrol, un composé extrait de l’origan et qui a déjà montré une forte activité antibactérienne chez l’homme”, explique Hugues Gascan, directeur de recherche CNRS à l’Institut de génétique et développement de Rennes et vice-président du conseil scientifique de la FFMVT. A l’occasion de ce colloque, a été annoncée la création d’un fonds de dotation appelé “Recherche biotique” pour recueillir des dons permettant de financer la recherche publique dans le domaine de la maladie de Lyme. Ce fonds est présidé par Alain Trautmannn, immunologiste, directeur de recherche CNRS à l’Institut Cochin de Paris.

Par Olivier Hertel