Lettre ouverte à Marisol Touraine, par Tanguy Pasquiet-Briand

Maladie de Lyme, cette future pandémie : Mme Touraine, des mesures s’imposent. Et vite

Publié le 25-05-2014 dans le Nouvel Observateur

Par Tanguy Pasquiet-Briand
Doctorant en droit public

Madame la ministre des Affaires Sociales et de la Santé,

À la suite de la diffusion d’un documentaire portant sur la maladie de Lyme (intitulé “Quand les tiques attaquent” et diffusé le mardi 20 mai 2014 à 20h35, sur France 5), je vous écris afin de vous faire part de ma profonde tristesse.

Inutile politiquement, un tel sentiment n’est, j’ose espérer, pas totalement méprisable dès lors que l’on est confronté, de près ou de loin, à la maladie. Ma tristesse provient en réalité davantage du constat d’indifférence coupable des responsables politiques de mon pays, que du fait de côtoyer, dans mon proche entourage, une personne souffrant de cette terrible maladie.

Car il y a dans l’atonie française à l’égard de la maladie de Lyme, la marque d’une forme d’arrogance scientifique et la preuve d’une méconnaissance sidérante des effets dommageables de cette pathologie.

Erreurs et retards s’accumulent 

La France s’est pourtant longuement enorgueillie de sa médecine prétendument supérieure. Or, elle ne fait qu’accumuler, relativement à la maladie de Lyme, qu’erreurs et retards.

Alors que le Canada vient de voter une loi ayant pour objet de contenir, par la prévention et la recherche médicale, cette maladie ; que l’État de New-York vient de supprimer toute entrave à la prescription d’antibiotiques sur le long cours pour les malades subissant ce mal ; que l’Allemagne multiplie les pistes de recherche de traitement de la maladie, notamment l’hyperthermie ; la France, sûre de son génie scientifique en matière de recherche médicale, se signale par son incompréhensible inertie.

En effet, le cadre réglementaire français en la matière fixe le traitement de la maladie à trois insuffisantes semaines d’antibiotiques, se fonde sur les avis de soi-disant grands professeurs de médecine qui n’ont jamais rien publié sur, au mieux la maladie de Lyme, au pire, quoi que ce soit, et empêche que les médecins qui essaient de soulager les douleurs des malades chroniques de Lyme, puissent ordonner la prise d’antibiotiques sur une longue période.

Une telle inadaptation frise l’incurie.

La maladie de Lyme, cette “grande imitatrice”

Dès lors, madame la ministre, que pourriez-vous opposer aux personnes souffrant de la maladie de Lyme si ce n’est un aveu d’impuissance voire d’incompétence de la part du corps médical dont vous dirigez l’activité ?

La maladie de Lyme est, de façon certaine, une maladie qui, si elle n’est pas immédiatement traitée, peut se transformer en maladie chronique.

Complexe, elle s’accentue aisément parce qu’elle génère des co-infections. Elle peut également profiter d’un terrain génétique favorable ou d’un système immunitaire fragilisé pour s’enraciner dans l’organisme.

Elle fait désormais l’objet d’études approfondies, en particulier aux États-Unis. Il a notamment été observé qu’elle prenait diverses formes – certains médecins l’ont affublée du surnom de “grande imitatrice” – pour tromper les défenses de l’organisme.

L’ignorance du corps médical

L’un de mes proches est affecté depuis plus de huit ans d’une neuroborréliose. La liste des symptômes qu’il a courageusement éprouvés vous effraierait et il n’est pas ici indispensable de vous les énumérer.

En revanche, ce que vous devez savoir, c’est qu’il a dû attendre plus de cinq ans pour que le diagnostic de la maladie soit enfin établi.

La faute à un corps médical ignorant, dont l’une des fréquentes réactions a été de conclure, devant l’incompréhension de ses symptômes, à l’altération de son état mental. La faute, plus sensiblement, à l’inadéquation des tests, et à l’incomplet consensus de 2006 relatif à la maladie de Lyme.

Le désintérêt des firmes pharmaceutiques

Puis, plus fondamentalement, la faute à des firmes pharmaceutiques qui ne s’intéressent plus guère aux traitements par voie d’antibiothérapie.

Elles n’ont en effet plus rien à gagner à l’exploitation de vieilles molécules depuis longtemps commercialisées sous la forme de médicaments génériques. Par conséquent, elles n’investissent pas dans la recherche sur la maladie et corrélativement, ne financent pas les projets scientifiques qui chercheraient à la soigner et à la guérir.

Il est temps de réagir

J’attire donc votre attention sur le visionnage de ce documentaire aussi fondé qu’alarmant.

Il a permis à ce proche que j’évoquais, de se sentir moins isolé. Il lui a permis de nourrir l’espoir qu’il ne soit plus contraint de trouver un suivi médical approprié en Belgique et d’envisager de nouvelles thérapies en Allemagne.

 

Que pouvez-vous concrètement dire à cela, madame la ministre ? Allez-vous enfin prendre à bras-le-corps une maladie qui à court terme, va engendrer d’immenses difficultés de santé publique sur lesquelles la France ferme docilement les yeux ?

 

De nombreuses associations de défense des malades de Lyme ont déjà essayé de vous sensibiliser, sans que vous n’apportiez de réponse. Je n’en fais pas partie. Pour autant, je comprends parfaitement leur indignation. Le ton de ces quelques lignes peut laisser l’impression de la véhémence. Il ne trahit, encore une fois, qu’une forme de dépit teinté de tristesse.

 

Manque de réaction du corps médical

 

Il y a évidemment d’autres pathologies qui apparaissent, ou plus exactement, réapparaissent. Mais il est dramatique qu’aucun projet de recherche sur la maladie, ni qu’aucune volonté de prendre en charge la situation particulière des malades, particulièrement quant aux traitements et quant à la nature handicapante de la maladie de Lyme, ne se dessinent.

 

Dans ce cadre, il doit être entendu que l’initiative de la présente lettre ne dissimule aucune entreprise de contestation partisane.

 

Il n’y a là aucun calcul. Simplement un profond désarroi qui n’est que la conséquence de l’indifférence à laquelle il se heurte de toute part, aussi bien de la part du corps médical français dans son immense majorité, que de la part des pouvoirs publics.

 

Une future question de santé publique

 

Ainsi, madame la ministre, vous pourriez apaiser l’angoisse que génère la maladie de Lyme par l’enclenchement d’une réflexion collective aboutissant concrètement et rapidement sur un projet de loi. Le gouvernement français ne pourra plus longtemps s’abriter derrière le paravent vacillant qu’incarne le corps médical pour évacuer, en toute bonne conscience, la maladie de Lyme.

 

L’urgence d’entrevoir la pandémie qu’elle va constituer dans les années à venir devrait naturellement vous enjoindre d’anticiper ses effets dévastateurs. Cette revendication en apparence particulière n’annonce, au fond, qu’une future question d’intérêt général et de santé publique.

 

Il vous est donc encore loisible de prendre les mesures qui s’imposent.

 

Trois axes fondamentaux

 

Elles semblent pouvoir être ramassées en trois axes fondamentaux : la recherche scientifique (ce qui englobe évidemment la prévention, notamment en ce qui concerne les balades en forêt et la confrontation aux tiques), la libéralisation du dispositif réglementaire des prescriptions médicales en vue de traiter la maladie de Lyme sur le long cours et, enfin, la prise en compte des difficultés particulières que rencontrent les personnes atteintes par la maladie de Lyme (centres thérapeutiques spécialisés dans l’atténuation des situations de souffrance et de handicap).

 

Certains députés de l’Assemblée nationale ne devraient pas tarder à vous demander de rendre des comptes sur ces différentes questions. Il ne tient qu’à vous de saisir l’opportunité de ne pas endosser l’entière responsabilité d’un déni médical qui n’a que trop duré.

 

L’urgence de la situation commande l’âpreté du propos. Il vous appartient de mettre en lumière une volonté politique. Selon les dires du Professeur de médecine Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008, “Le monde entier est infecté par la maladie de Lyme“. En France, le pays entier est dans l’ignorance de la maladie de Lyme.

 

À commencer par ceux-là mêmes qui sont censés s’en préoccuper.

 

Vous remerciant de l’attention que vous porterez à la présente tribune, je vous prie, madame la ministre des Affaires Sociales et de la Santé, de croire en l’expression de mes respectueuses salutations.