Une étude des micro-organismes présents chez des patients souffrant d’un SPPT ou de fibromyalgie par la méthode des qPCR

Alors que la prévalence de la maladie de Lyme (borreliose, causée par différentes sortes de Borrelia transmises aux humains par les piqûres de tiques) est en augmentation dans de nombreux pays, certains médecins font l’hypothèse que les Borrelia ne sont pas le seul facteur expliquant la présence d’un SPPT (syndrome polymorphe post-traitement après piqûre de tique, reconnu par la Haute autorité de Santé française et proche de ce que les Américains et d’autres appellent le PTLDS, post-treatment Lyme disease syndrome). Certaines tiques sont en effet poly-infectées et donc susceptibles de transmettre aux humains différents micro-organismes (bactéries, virus, parasites). Or les tests actuellement utilisés pour identifier la présence d’une infection de ce type ne détectent, dans le meilleur des cas, que certaines espèces de Borrelia et aucun autre micro-organisme. Par ailleurs, la possibilité d’une persistance de certains micro-organismes après traitement par antibiotiques reste contestée.

En 2023, un groupe de médecins français (Marie Mas, Alexis Lacout, Véronique Perronne, Yannick Lequette, Yves Gadiolet, Béatrice Rambeaud, Paul Trouillas, Michel Franck, Christian Perronne) a procédé à une recherche permettant de déterminer quels micro-organismes étaient présents chez des patients présentant un SPPT. Les 108 patients de l’étude, des adultes, présentaient tous depuis plus de six mois des symptômes tels que douleurs musculaires et dans les tendons, douleurs neurologiques, paresthésies, transpiration excessive, bouffées de chaleur, fatigue, troubles du sommeil, difficultés de concentration, difficulté à trouver ses mots, irritabilité, douleurs dans le bas du dos, gonflement des articulations, vision double, muscles faciaux tombants, paupières tombantes, acouphènes, palpitations cardiaques…). Aucune autre cause susceptible d’expliquer ces symptômes n’était connue.

Les micro-organismes dont la présence a été recherchée étaient les suivants : Borrelia burgdorferi sensu lato, Borrelia hermsii, Borrelia garinii, Borrelia afzelii, Borrelia miyamotoi, Bartonella spp., Bartonella quintana, Bartonella henselae, Ehrlichia spp., Anaplasma spp., Rickettsia spp., Coxiella burnetii, Brucella spp., Francisella tularensis, Mycoplasma spp., Chlamydia spp., Babesia spp., Theileria spp., EBV, HHV-6, CMV, VZV, virus de l’encéphalite à tique (TBEV), virus Bourbon, virus du Nil occidental, virus du Chikungunya, de la Dengue, Zika, Powassan, d’Eyach.

Ces micro-organismes ont été recherchés dans la salive, l’urine, le sang veineux et le sang capillaire des patients, à l’aide d’une qPCR (real time quantitative polymerase chain reaction), méthode de diagnostic consistant à amplifier l’ADN des micro-organismes recherchés, à jour 1 et jour 3 de l’étude.

Dans le même temps, Borrelia burgdorferi s.l., Borrelia miyamotoi, Ehrlichia spp, Babesia spp, Borrelia hermsii, Bartonella henselae, Bartonella Quintana ont été recherchés par PCR du sang veineux chez un groupe de 24 étudiants en bonne santé, ne présentant aucun de ces symptômes.

Résultats de l’étude :

  • Chez les étudiants ne présentant aucun symptôme, tous les résultats des PCR se sont avérés négatifs.
  • En revanche, à jour 1 et jour 3 de l’étude, seuls 4,6% des 108 patients souffrant d’un SPPT ne présentaient aucun de ces micro-organismes. 95,4% étaient positifs à l’un d’entre eux au moins, et 68,5% étaient positifs à l’un d’entre eux au moins après exclusion des différentes sortes de Mycoplasma, potentiellement commensales (c’est-à-dire présentes chez un humain sans lui porter préjudice).

Les bactéries qui ont été le plus fréquemment retrouvées sont les Mycoplasma spp (spp signifiant : toutes espèces), suivies par les Rickettsia spp et les Theileria spp. Pour deux types de bactéries, les Borrelia et les Bartonella, des espèces différentes ont été identifiées à jour 1 ou jour 3 de la qPCR : pour les Borrelia, les espèces afzelii, miyamotoi, hermsii et garinii. Pour les Bartonella, les espèces quintana, henselae, spp.

Tous les prélèvements biologiques (salive, urine, etc.) n’ont pas fourni pas la même quantité d’information. Le prélèvement contenant le plus d’information est la salive (56,3% des micro-organismes identifiés). Viennent ensuite l’urine (24,9%), le sang capillaire (14,6%) et en dernier lieu le sang veineux (4,7%).

Les différentes bactéries et parasites ne se retrouvent pas non plus dans la même proportion selon la matrice : ainsi, par exemple, les Mycoplasma spp se retrouvent-t-elles surtout dans la salive (63,4% des cas), les Borrelia ne sont jamais retrouvées dans le sang veineux…

Cette étude a donc montré que la très grande majorité des 108 patients présentant des symptômes concordant avec un diagnostic de SPPT/PTLDS sont porteurs de micro-organismes pathogènes détectables par une qPCR. Comme les auteurs de cet article l’avaient déjà montré dans un précédent article, la présence de Borrelia pourrait être moins fréquente qu’on ne le pensait, ou plus difficile à détecter, même en considérant différents prélèvements biologiques, la bactérie pouvant être localisée dans des organes tels que le cerveau ou dans les tissus profonds. Dans ce cas, des PCR réalisées sur des biopsies pourraient être plus pertinentes.

Un des résultats remarquables de l’étude est qu’il a été retrouvé un nombre beaucoup plus grand de Theileria que de Babesia, ce qui confirme aussi les résultats d’une précédente étude effectuée par ces auteurs. Avant ces deux études, les Theileria, bien connues en médecine vétérinaire pour infecter les chevaux, n’avaient jamais été isolées chez un humain. Ces résultats indiquant queles Theileria pourraient être un important pathogène pour les humainsdevront être confortés par d’autres études.Les Babesia, connues pour être à l’origine de chocs infectieux chez des patients ayant subi une ablation de la rate, pourraient aussi être à l’origine d’infection chez des patients immunocompétents, sous une forme latente. L’étude confirme donc que les infections à piroplasmes sont très probablement sous-estimées.

Ainsi qu’une précédente étude l’avait déjà suggéré, diverses espèces de Bartonella, y compris celles qui n’étaient connues qu’en médecine vétérinaire, pourraient jouer un rôle dans le SPPT/PTLDS.

Certaines bactéries, comme les Mycoplasma spp ne sont généralement pas transmises par les tiques et pourraient être commensales ou transmises par voie sexuelle. Cependant, certaines espèces de Mycoplasma comme la Mycoplasma fermentans pourraient être transmises par les tiques et être pathogènes.

De façon surprenante, un cas de virus du Nil occidental a été observé. Ce virus n’est normalement pas transmis par les tiques mais par les moustiques ou les taons. Il semblerait que ce virus, susceptible de causer un syndrome ressemblant à la grippe ou à une encéphalite aiguë, tendrait à se répandre en France et en Europe.

Il est également surprenant de trouver, chez des patients souffrant de maladies chroniques, des virus tels que le Zika ou le Chikungunya, connus pour provoquer des maladies aiguës. Ceci pose la question de savoir si ces virus peuvent persister dans le corps et causer des symptômes chroniques chez des patients atteints de fibromyalgie ou de SPPT/PTLDS. D’autres virus retrouvés dans cette étude, tel que le CMV ou le HHV6, jamais décrits chez les tiques, pourraient être réactivés suite à une dépression du système immunitaire due à une maladie de Lyme, et être qualifiés d’agents infectieux opportunistes. Il pourrait donc être opportun de changer de paradigme et d’utiliser le terme « crypto-infections » plutôt que celui, plus limité, de « maladie vectorielle à tique ». L’étude a montré que 65% des patients étaient poly-infectés, certains pouvant porter jusqu’à cinq micro-organismes différents, ce qui pourrait expliquer la diversité et la sévérité des symptômes.

À ce stade préliminaire de la recherche, différentes questions restent à préciser (il n’est pas possible, par exemple, de distinguer le portage latent et l’infection active ; la présence de micro-organismes dans la salive n’est pas facile à interpréter…). L’étude a cependant montré l’intérêt d’un double échantillon permettant de réaliser une PCR à jour 1 puis à jour 3, les résultats pouvant différer.

Alors que certains auteurs ont fait l’hypothèse que des causes psychiques pourraient expliquer les symptômes cliniques de SPPT/PTLDS, les auteurs de cet article soulignent donc que des infections pourraient jouer un rôle, même si les phénomènes dysimmunitaires doivent aussi être pris en compte. D’autres études seront nécessaires pour s’assurer que les individus en bonne santé ne présentent pas des taux d’infection similaires. Une évaluation précise des traitements antiinfectieux susceptibles d’être appropriés devrait être faite chez les patients présentant des symptômes de SPPT/PTLDS, et une qPCR après traitement envisagée.

En raison de l’importance de la controverse, de l’absence « d’étalon-or », du nombre limité de résultats publiés sur l’identification des co-infections, de la faible sensibilité des PCRs faites sur le sang, il est difficile d’établir des comparaisons. D’autres études seront nécessaires. La difficulté à détecter ces micro-organismes peut justifier l’emploi de protocoles utilisant des antibiotiques ou un emploi probabiliste de médicaments anti-parasitaires, que les germes aient ou non été détectés, moyennant un suivi attentif de l’état du patient pendant le traitement. Des thérapies antibiotiques prolongées pourraient être nécessaires.

https://www.fortunejournals.com/articles/multimatrix-real-time-pcr-in-108-patients-with-polymorphic-signs-suggestive-of-fibromyalgia-or-related-to-a-tick-bite.html

Source : Marie Mas, Alexis Lacout, Véronique Perronne, Yannick Lequette, Yves Gadiolet, Béatrice Rambeaud, Paul Trouillas, Michel Franck, Christian Perronne. Multi-Matrix Real Time PCR in 108 Patients with Polymorphic Signs Suggestive of Fibromyalgia or Related to a Tick Bite. Archives of Microbiology and Immunolog. 7 (2023): 250-270.